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Yann Aguila

Avocat - Président du Global Pact for the Environment - Diplômé de Sciences Po Aix - 1986

Jeudi 19 octobre Yann Aguila, Diplômé de Sciences Po Aix, de l’ENA et avocat, était l’invité d’honneur de la rentrée solennelle de Sciences Po Aix. À cette occasion, il a répondu à nos questions et nous en dit plus sur son parcours et le projet qu’il a initié et qu’il préside : le Global Pact for the Environment.

Pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours académique ?

Je vais commencer par mon parcours académique puisque j’ai le bonheur de venir de Sciences Po Aix et d’avoir étudié, en même temps, à la fac de droit d’Aix-en-Provence. J’ai ensuite fait l’ENA. C’est un parcours rare, et je le regrette. Trop peu d’étudiants suivent ce chemin. J’invite tous les étudiants à s’intéresser aux grands concours administratifs. Quand on vient de Sciences Po Aix on s’autocensure parfois et c’est un peu dommage.

A la sortie de l’ENA j’ai eu la chance de pouvoir entrer au Conseil d’État où j’ai passé de longues années dans diverses fonctions juridictionnelles. J’ai aussi effectué une partie de mon parcours au Sénégal, où j’ai été conseiller juridique du Président de la République de 1995 à 2000, puisqu’à cette époque, un membre du Conseil d’État occupait ces fonctions ;

Depuis une dizaine d’année, je suis avocat au cabinet Bredin Prat, fondé par Robert Badinter et Jean-Denis Bredin à Paris, où je dirige le département de droit public. Cette arrivée dans le métier d’avocat est un peu un retour à la case départ ! Quand j’étais étudiant, je m’interrogeais sur les différentes carrières possibles et j’avais bien sûr pensé à celle d’avocat, puisque mon père était lui-même avocat à Aix-en-Provence.

Vous avez donné ce jeudi 19 octobre une leçon inaugurale intitulée “Crise écologique : devoirs des États, droits des citoyens” à l’occasion de la rentrée solennelle de Sciences Po Aix. Pourriez-vous nous expliquer le lien entre votre passion pour le droit public et votre engagement pour la protection de l’environnement ?

D’abord, il y a une grande part de hasard, puisqu’il se trouve qu’au Conseil d’État j’ai été affecté pendant de longues années à la chambre qui traite des sujets liés au droit de l’environnement. J’ai donc eu à traiter de grands dossiers en matière droit de l’environnement. Après, il y a un effet boule de neige : quand on commence à s’y intéresser on écrit des articles, puis quand on écrit des articles, on est invité dans les colloques, en tant que membre du Conseil d’État, et ainsi de suite…  

Puis je me suis retrouvé à diriger la commission Environnement du Club des juristes, un think-tank qui a produit plusieurs rapports remarqués dans le domaine du droit de l’environnement :

  • Un rapport de 2012 sur le préjudice écologique, à l’origine de la loi de 2016 qui a introduit le préjudice écologique dans le code civil, comme nous le recommandions.
  • Un 2e rapport de 2015 sur le droit international de l’environnement, à l’origine de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies – nous avons été nous-mêmes assez impressionnés de cet aboutissement – qui a ouvert des négociations sur un Pacte mondial pour l’environnement.

Je n’étais pas spécialement  écologiste au départ, mais quand par le hasard d’une affectation professionnelle on se met à  s’intéresser aux dossiers de la crise écologique, aux faits, aux chiffres, quand en toute objectivité on regarde la gravité de la crise, on ne peut que mesurer l’importance d’agir et avoir envie de s’engager.

J’ajouterais qu’au fond, avec le recul – et je le cite souvent comme exemple à mes étudiants,  le droit public est fondé sur ce concept fondamental qui est l’intérêt général. Et on nous explique souvent avec cette formule un peu sibylline que je comprenais mal lorsque j’étais moi-même étudiant, que l’intérêt général est supérieur à la somme des intérêts particuliers.
J’ai vraiment compris le sens profond de cette formule quand j’ai commencé à faire du droit de l’environnement car il n’y a pas plus bel exemple d’intérêt général que la protection de la planète. Et notamment on le mesure à travers cette notion de « générations futures », cette idée qu’il faut bien sûr protéger les générations actuelles, mais aussi les générations futures, celles qui ne sont pas encore nées. Et cela montre bien, je dirais presque mathématiquement, que cet intérêt est supérieur à la somme de tous les intérêts des habitants actuels de la planète !

Vous êtes Président de la Global Pact Coalition. Pouvez-vous nous dire comment est né ce projet et les objectifs qu’il vise aujourd’hui ?

C’est un projet qui fait partie des propositions du rapport de 2015 de la commission Environnement du Club des Juristes, dont je vous ai parlé.
Pour aller vite, le Pacte mondial pour l’environnement  serait  l’équivalent de la Charte de l’environnement de 2004, un texte court qui consacre de grands principes généraux et des droits fondamentaux en matière d’environnement. Il se distingue en ce sens de l’Accord de Paris, qui est un texte long, sectoriel, qui parle de sujets techniques.

Le pacte mondial, ce serait un texte comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme ; ce genre de texte court qui d’une manière très simple et très accessible pour le grand public, pose les grands principes, les droits de chacun mais aussi les devoirs des gouvernants et des citoyens vis-à-vis de la planète. L’un de ces textes que l’on peut mettre sur les murs des salles de classes pour que chacun connaisse ses droits et ses devoirs.

Un texte à l’échelle globale, donc. Car aussi fou que cela puisse paraître, à ce jour, nous n’avons pas, à l’échelle mondiale, de texte qui reconnait les droits fondamentaux en matière d’environnement. On a des textes sur les droits de l’homme en général, sur les droits de l’enfant. Mais pas sur les droits environnementaux. Le but, c’est donc de combler une lacune dans ce domaine.

Ce projet de Pacte a eu un parcours extraordinaire puisqu’il a atterri à l’Assemblée générale des Nations unies qui a ouvert des négociations entre états à ce sujet. Les négociations ont eu lieu, mais elles n’ont pas abouti du fait de l’opposition conjointe des Etats-Unis à l’époque de Donald Trump, et de la Russie.
Le texte reste néanmoins  une référence. Et c’est une très forte référence. Aujourd’hui, il n’y a plus un ouvrage qui parait sur le droit de l’environnement qui ne mentionne le Pacte Mondial de l’Environnement.

En matière de droits de l’homme, nous avons deux pactes, qui sont des traités à valeur juridique obligatoire, et qui régissent les relations entre états. Ils datent de 1966 : Le Pacte international sur les droits civils et politiques et le Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels.
Mon souhait, c’est que nous assumions l’idée qu’il y a une 3e génération de droits de l’homme : les droits environnementaux. Un jour ou l’autre, j’espère, nous y arriverons !

Cette année, vous donnerez un cours de Droit de l’environnement à Sciences Po Aix pour des étudiants en 4e année. Que souhaitez-vous leur transmettre ?

Je crois que les enjeux environnementaux sont aujourd’hui présents dans tous les métiers. Il n’y a plus un seul métier qui échappe à ces enjeux. Je discutais hier avec un représentant des sapeurs-pompiers qui me disait qu’avec la multiplication des grands incendies à des échelles jusque-là méconnues, c’est une dimension devenue essentielle de leur métier.
Mais si vous parlez avec des ingénieurs, ils vous disent la même chose. C’est très transversal. Donc il n’est plus concevable, quel que soit son métier, de ne pas avoir des éléments de connaissances de base sur le cadre politique et juridique des politiques environnementales. Le premier intérêt de mon cours, c’est donc de transmettre les savoirs fondamentaux que toute personne devrait connaître, quel que soit son métier.

Le but, c’est aussi que les étudiants maîtrisent les grands outils, avec une approche un peu juridique bien sûr, mais aussi institutionnelle et qu’ils soient capables à la fois de connaître les grands principes qui gouvernent l’action environnementale. Par exemple au sujet du principe de précaution, qu’ils comprennent quels sont les enjeux pour ne pas tomber dans le pièges des fakes news qui peuvent exister, et qu’ils comprennent aussi quels sont les grandes applications de ces principes. Par exemple, le principe de prévention : comme les dommages sont souvent irréversibles, il vaut mieux prévenir. Ce principe général se traduit par des applications très concrètes comme par exemple, l’exigence d’études d’impact.  Aujourd’hui, on ne peut pas imaginer un projet sans avoir, au préalable, mesuré les impacts que cela pourrait avoir sur l’environnement.
Il est capital pour eux de connaître ce type d’outils essentiels à la préservation de l’environnement.

Auriez-vous des conseils pour les étudiants de Sciences Po Aix, quelles que soient leurs spécialités, souhaitant avoir un impact sur le devenir environnemental de nos sociétés à travers leur parcours professionnel ?

Evidemment, si on choisit un métier spécifiquement dédié à l’environnement, on pourra avoir un impact direct favorable. Mais en réalité, aujourd’hui, dans tous les métiers, on peut avoir un impact positif. Et moi qui suis un avocat, je suis très agréablement surpris par le fait que dans toutes les entreprises, et à tous les niveaux, il existe des gens de bonne volonté ; Ils font le maximum pour aider les entreprises à entrer dans la transition écologique, dans la décarbonation industrielle. C’est un travail immense, c’est herculéen de transformer toutes nos infrastructures électriques, d’améliorer les processus de tri des déchets… Mais chacun où il se trouve peut avoir un impact positif en réalité. Et, pour être un peu provocateur, je dirais même que si on est dans une entreprise comme Total, on a toujours la possibilité, de l’intérieur, d’avoir un impact positif !