À la découverte du métier de journaliste !

À l’occasion de sa Semaine de la presse, le Bureau des Médias organisait mardi 28 novembre une table ronde à laquelle étaient invitées Estelle Cognacq, Directrice adjointe de France info et Directrice de l’agence Radio France, et Frédérique Gros-Mlili, Rédactrice en Chef adjointe en charge des régions à La Provence.

Les États Généraux de l’information ayant débuté le 3 octobre dernier en France, les questions sur la qualité de l’information, le financement du journalisme, l’indépendance éditoriale ou encore l’impact des réseaux sociaux et des IA sur le métier étaient largement attendues. Les deux invitées ont exprimé leurs points de vue et partagé des conseils sur la manière dont les futurs journalistes doivent s’adapter à ce nouvel environnement.

Estelle Cognacq occupe le poste de directrice adjointe chez France Info, un média global diffusant des contenus informatifs à travers la radio, la télévision avec France Production, sur internet et sur les réseaux sociaux. France Info est le principal site d’information en France. Son travail inclut le journalisme de vérification des faits et la contribution au développement de la plateforme numérique de France Info. Elle a joué un rôle clé dans la création de l’Agence Radio France, permettant la centralisation des informations des journalistes pour une vérification plus efficace des sources.

Frédérique Gros Mlili, diplômée de Sciences Po Aix en 1995, a passé les 25 dernières années au sein du quotidien régional La Provence. Actuellement, le journal est en pleine évolution suite à son rachat par le groupe CMA CGM. Cette acquisition a entraîné une modernisation et une réorganisation des rédactions, mettant désormais l’accent sur la priorité accordée à la formule web.

Journaliste : un métier de vocation ?

Pour nos deux invitées, le métier de journaliste n’a pas tout de suite été une évidence. Estelle Cognacq était en école de commerce pour devenir trader. Quant à Frédérique Gros Mlili, elle s’est découverte journaliste au fil de ses études à Sciences Po Aix, en effectuant des stages.

« Les gens voient ce métier comme une vocation, mais ça n’a pas du tout été mon cas. Après divers stages dans la presse écrite, j’ai bénéficié d’un “appel d’air” en 1997, puisque le journal La Provence venait d’être créé par la fusion des deux journaux : Le Provençal et Le Méridional. Ainsi, le journal embauchait des jeunes qui sortaient tout juste de formation ! » – Frédérique Gros Mlili

Les deux journalistes soulignent l’importance de considérer le style de vie que la nouvelle génération de journalistes souhaite adopter. Elles mettent en lumière une différence forte, selon que l’on travaille pour un quotidien, un hebdomadaire, un mensuel, ou pour des chaînes et des radios d’information en continu. Chaque format implique un rythme de travail distinct, avec ses propres exigences et cadences. « L’info ne s’arrête jamais, on court toujours après. Mais les nouvelles générations sont plus enclines que nous à cloisonner vie professionnelle et vie personnelle. » – Frédérique Gros Mlili

« C’est un métier d’engagement et de sens. Je voulais être actrice de la démocratie, aider mes concitoyens à comprendre le monde. C’est un métier qui déborde sur la vie personnelle donc si l’on n’y met pas de sens, c’est compliqué à gérer. L’information en continu est chronophage. Or c’est ce qui prédomine aujourd’hui du fait de la multiplication des crises. On doit avoir conscience de l’engagement que cela nécessite avant de se lancer. » – Estelle Cognacq

Quelle est la journée type pour un journaliste ?

Estelle Cognacq a entamé sa carrière professionnelle à Europe 1 lors de l’année de la Coupe du Monde, ce qui lui a offert de nombreuses occasions de réaliser des reportages sur le terrain, notamment au sein du service société. « C’est un métier particulier, car on sait quand on part sur le terrain, mais jamais quand on le quitte ! » – Estelle Cognacq.

Estelle Cognacq a immédiatement trouvé cela gratifiant, car elle avait envie d’être au contact des gens. Cependant si le métier de grand reporter dans les zones de conflits est un métier souvent convoité par les étudiants d’écoles de journalisme, elle rappelle qu’il ne faut pas se fermer des portes et rester arc-bouté sur une idée précise : « Il faut être réaliste, on ne débute jamais comme grand reporter, ce sont des postes qui demandent 15 à 25 ans d’expérience ! ».

Quelles transformations des supports ? Quels horizons ?

Depuis le début de leur carrière, tout a changé. Il y avait moins de plateformes médiatiques et les chaînes d’informations en continu n’existaient pas. Estelle Cognacq a été témoin de cette évolution des supports médiatiques dans les années 2000, notamment à travers des reportages sur les jeux vidéo et l’émergence des rédactions en ligne. Cette évolution des supports vers des formats numériques multiples a également entraîné une crise dans le secteur de la presse écrite.

« On n’est plus fidélisé à un média précis, la presse locale perd ainsi largement du terrain. » – Frédérique Gros Mlili

Ce secteur connaît une mutation rapide. Si le contenu reste inchangé, le contenant continuera à évoluer constamment. « Je n’encouragerai pas un étudiant qui me dit vouloir faire uniquement de la radio. Qui peut prédire la permanence de ce support ? Il faut dépasser les formats, car les gens auront toujours envie d’être éclairés. Le contenu a un avenir, mais le contenant va encore bouger. » – Estelle Cognacq

Les deux journalistes regrettent aussi que l’information ne soit toujours pas considérée comme ayant une valeur marchande. Cela empêche la juste rémunération des journalistes. Cependant, Estelle Cognacq insiste sur la part de responsabilité des journalistes : « Les gens ont assisté aux dérives dans notre métier comme les copier/coller des AFP qui ont généré de l’information standardisée. Les gens sont devenus méfiants vis-à-vis du métier. Aussi, les chaînes d’infos en continu passent plus de 4 heures sur une information qui tiendrait en seulement quelques lignes, elles la montent en épingle pendant des heures et déplacent notre attention des infos réellement vérifiées. » – Estelle Cognacq

Enfin, les deux journalistes ont en commun d’occuper des postes d’encadrement et estiment que le milieu journalistique reste malgré tout encore imprégné de sexisme. « C’est difficile de trouver des femmes qui veulent se lancer dans nos postes d’encadrement. Elles s’auto-éliminent souvent parce qu’elles ne veulent pas prendre de coups ou ne se sentent pas légitimes. Un collègue m’a par exemple déjà dit qu’il n’accepterait pas d’être dirigé par une femme. Malheureusement pour lui, j’ai été nommée ! » – Estelle Cognacq

Le nouveau défi pour les journalistes réside également dans l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA). Comment le métier pourra-t-il perdurer si des IA sont capables de rédiger à la place des journalistes ? Pour contrer la désinformation, les journalistes et médias intensifient la création de cellules de vérification des faits. Cependant, Estelle Cognacq se veut rassurante : “L’IA peut aussi être utile pour les journalistes, comme l’outil Data Miner utilisé à France Info pour repérer les fausses informations en comparant les données avec des sources traditionnelles telles qu’Eurostat ou l’INSEE.”.