Magali Nonjon et François Dumasy

Dans le cadre de la Convention citoyenne universitaire sur l’IA générative de Sciences Po Aix, 5 enseignants ont été tirés au sort et participent activement aux travaux.
Magali Nonjon, Maîtresse de conférences en science politique et François Dumasy, Maître de conférences en Histoire partagent leur expérience et répondent à nos questions sur les implications de l’IA générative dans le domaine de l’enseignement.
L’IA générative était-elle, avant la Convention, un sujet de préoccupation pour vous dans votre métier d’enseignant ? Comment percevez-vous l’impact de l’IA générative sur votre discipline ?
Magali Nonjon : L’IA était déjà un sujet très présent dans mes pratiques pédagogiques. Je m’interrogeais sur le format des évaluations et sur les inégalités sociales que cette technologie pouvait renforcer dans les dynamiques d’apprentissage des étudiants : même dans un établissement sélectif, ces questions étaient déjà saillantes.
François Dumasy : L’IA générative a surtout été un facteur de méfiance pour l’évaluation des devoirs faits à la maison, et cela m’a conduit à réduire la part de ces exercices pour favoriser les devoirs sur table.
Quelle a été votre réaction quand vous avez été sélectionné(e) pour participer à la Convention ? Vous sentez-vous plus concerné(e) par ces enjeux depuis le début des travaux ?
Magali Nonjon : Disons que je n’ai pas vraiment été “sélectionnée”, mais plutôt attendue sur cette thématique, à la fois en raison de mes travaux de recherche sur la démocratie participative, et du type de formation que je dirigeais, c’est-à-dire le Master Métiers de l’information et le Master CORIS, déjà très exposée aux usages de l’IA.
Les recompositions professionnelles en cours et les inquiétudes des étudiants faisaient déjà partie intégrante de leur projet pédagogique : ils avaient, par exemple, publié un numéro du magazine Chicane consacré aux controverses socio-politiques autour de ChatGPT, et organisé une journée de sensibilisation dédiée au sujet.
Je ne me sens donc pas plus concernée, mais mieux outillée… avec de nouvelles questions en tête.
François Dumasy : Je ne me sentais pas particulièrement spécialiste de la question, aussi ai-je été étonné de cette sélection. Celle-ci, cependant, se comprend dans le sens où la convention visait à reposer sur un panel représentatif et incluait donc des profils comme le mien.
La généralisation de l’IA générative soulève de profonds questionnements éthiques et sociétaux dans le contexte universitaire. Un grand principe, ou une action phare, se dégage-t-il de la Convention et vous semblerait prioritaire ?
Magali Nonjon : Former et se former aux enjeux éthiques et sociaux de l’IA me paraît essentiel : il faut commencer par « entrer dans la boîte noire », comprendre les logiques techniques, économiques et sociales qui structurent ces outils.
Parmi les propositions discutées, j’ai particulièrement apprécié celle de créer un observatoire inter-établissements des usages de l’IA dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, pour mutualiser les connaissances, documenter les pratiques et favoriser un regard critique partagé.
Mais attention : si l’IA mérite notre attention, elle ne saurait devenir l’unique horizon de transformation dans nos établissements. Nous ne pouvons nous permettre de mobiliser l’essentiel de nos forces – humaines, financières, politiques – sur ce seul sujet, alors même que d’autres priorités pédagogiques, tout aussi fondamentales, peinent déjà à trouver les moyens de se déployer.
François Dumasy : Il me semble que ce qui se dégage de nos discussions est la nécessité de tenir compte de la disponibilité exponentielle d’IA génératives, qui présentent une offre de plus en plus étoffée pour la recherche, mais aussi la rédaction de textes universitaires et l’enseignement.
On ne peut simplement rejeter ce qui s’impose progressivement comme un outil de travail, mais il ne faut pas célébrer non plus ce changement: l’IA comporte de nombreux risques – du plagiat aux “hallucinations” – et surtout nécessite des connaissances fondamentales. Elle contribue à l’épuisement des ressources naturelles et accentue les inégalités, puisqu’elle favorise ceux qui ont les moyens économiques et la connaissance de ces ressources.
Il faut donc à la fois enseigner les usages de l’IA, prévenir contre ses limites et instaurer des principes de transparence. Les enseignants doivent garder la main sur l’autorisation ou non de l’IA par les étudiants.
La restitution des recommandations de la Convention aura lieu le 14 mai prochain. Quelles suites voyez-vous pour la Convention ?
Magali Nonjon : Les travaux de la Convention doivent maintenant être partagés plus largement avec l’ensemble de la communauté éducative, pour qu’ils puissent nourrir les processus de décision au sein des établissements.
Cette expérience a aussi mis en lumière la richesse des échanges entre collègues et étudiants, en montrant combien ces espaces de discussion sur nos pratiques pédagogiques sont précieux. Il faudrait pouvoir les multiplier à l’avenir, car ils sont indispensables pour penser collectivement les évolutions de notre métier.
François Dumasy : Par nature, cette convention est une première étape. Elle sera appelée à être amendée et complétée en fonction des usages et des dérives à venir.
Il faut rappeler que cette convention est une des premières du genre dans l’enseignement supérieur et qu’elle suscitera peut-être des procédures similaires ailleurs, ou bien des critiques. Dans tous les cas je me félicite que Sciences Po Aix ait pris cette initiative.