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Laura Sibony

Autrice

À l’occasion du lancement de la Convention citoyenne universitaire sur l’intelligence artificielle générative, le 6 mars dernier, Laura Sibony, autrice de Fantasia, contes et légendes
de l’intelligence artificielle nous livre son analyse sur la place de l’IA, “ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle change et les promesses qu’elle ne pourra pas tenir.”

Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?

J’ai étudié en double-cursus à Sciences Po et la Sorbonne, en Sciences humaines et sociales, puis je me suis spécialisée à HEC en management des industries créatives. J’avais à l’époque une obsession : comment recommander un livre à quelqu’un qui ne l’a pas lu ?

Cela m’a menée à découvrir la recommandation par IA, et le travail de Google Arts & Culture, une équipe de Google qui a numérisé huit millions de chefs-d’œuvre auprès des plus grands musées du monde. J’y ai travaillé au Lab, le centre de Recherche & Développement, où les creative coders inventaient des expériences d’IA, pour rendre ces œuvres plus accessibles, créer de nouvelles connexions, entre elles et avec le public. 

J’enseigne des initiations à l’IA par le biais de l’art depuis 2018 à HEC, et j’ai publié en 2024 Fantasia, Contes & légendes de l’intelligence artificielle, pour donner à voir l’IA, ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle change et les promesses qu’elle ne pourra pas tenir.

Si ma vie était un roman, son nom serait aussi impossible que mon parcours : “Gratwanderung”, qui signifie l’équilibre dans l’oscillation, la corde tendue entre deux contraires.

Aujourd’hui, j’écris, j’enseigne, et j’offre mes compétences en communication, rédaction, et prise de parole, avec toujours la curiosité de découvrir de nouveaux univers, de nouveaux domaines et de nouvelles personnes.

Le jeudi 6 mars dernier, vous avez animé une conférence à l’occasion du lancement de la Convention citoyenne universitaire sur l’IA générative : pourriez-vous en résumer le propos ?

Je tenais à montrer l’IA, ses facettes, les données, à travers des histoires ou des expériences, en conférence, des dialogues et des récits courts. Nous utilisons l’Intelligence Artificielle au quotidien, sans même nous en rendre compte, et avec l’illusion de la maîtriser depuis qu’on l’assimile à Chat-GPT.

Je veux mettre la lumière sur toutes ces IA invisibles du quotidien : celles qui sécurisent notre compte bancaire, nous évitent d’être noyées sous les spams, recommandent les films qu’on regarde et sont en train de rendre ma grand-mère complotiste.

Pouvez-vous nous parler de votre livre “Fantasia – contes et légendes de l’intelligence artificielle” ?

J’avais tellement d’histoires à raconter pour illustrer l’IA ! Plutôt que de la juger en bloc, je voulais en montrer ses visages dans des secteurs variés, dans l’art, le droit, l’informatique… 

Elle fascine et effraie. Elle lutte contre la fraude et détruit des emplois. Elle promeut l’éducation et favorise la triche. Elle donne accès au savoir et propage les fake news. Qu’est-ce que l’I.A. ? Grâce à une série d’anecdotes, d’histoires méconnues, de contes et de dialogues, Laura Sibony dresse un état des lieux. Elle raconte sans les juger les principaux concepts de l’I.A., ses enjeux et ses conséquences.

C’est par le récit, à travers des histoires et anecdotes, que l’on comprend ce qu’est l’intelligence artificielle – et ce qu’elle n’est pas. Ce qu’elle peut changer – et ce qu’elle ne pourra jamais changer. Ce qu’elle promet – et les promesses qu’elle n’arrivera pas à tenir. Une partie d’échecs entre Napoléon et le Turc mécanique, un algorithme pour reconnaître les fromages, la voix artificielle des patients atteints de la maladie de Charcot, Poutine en décolleté, et des artistes du code : le machine learning, les deepfakes ou le tagging se pensent en images.

Fantasia, ce sont des textes aussi drôles que pédagogiques, qui donnent une vision d’ensemble des mille facettes d’un sujet contrasté, et souvent contradictoire. Loin de se limiter aux aspects techniques de l’I.A., ils explorent ses conséquences sur le monde du travail, sur les inégalités ou sur notre dépendance à la technologie.

Le livre dresse un état des lieux de l’intelligence artificielle, abordant ses principaux concepts, ses enjeux et ses conséquences. Il explore les multiples facettes de l’IA, qu’elles soient technologiques, économiques, financières, sociétales, culturelles, politiques, philosophiques, voire poétiques.

Fantasia montre comment la croissance exponentielle des capacités de stockage de la donnée modifie profondément nos sociétés Cette donnée, que nous produisons sans le savoir, est vectorisée, mesurée et stockée. L’ouvrage explore la complexité de définir l’IA, soulignant qu’elle est un concept humain aux multiples facettes, un champ de recherches diversifié, et un univers de fantasmes et d’espoirs.

Enfin, le livre met en lumière la difficulté de parler d’IA en raison du vocabulaire anthropomorphique utilisé, suggérant qu’il serait peut-être plus juste de parler d'”extelligence”, une technologie d’imitation.

Selon vous, quelle place prendra l’IA générative dans la société de demain ? Quels seront ses enjeux ?

J’ai tendance à penser, avec Luc Julia, que l’IA générative prendra de moins en moins de place, face à d’autres types d’IA, moins visibles : de reconnaissance, de recommandation, voire les IA agentielles. 

Le principal enjeu de l’IA, à mon sens, reste la donnée, et la donnée n’a pas de frontière. On a beaucoup parlé de souveraineté de l’IA, au Sommet pour l’action sur l’IA, mais il reste à définir ce que c’est : la France peut construire des data centers, sur son sol, et y embaucher des Français pour créer des emplois. Mais si c’est pour y héberger des serveurs d’Amazon, construits avec des microprocesseurs coréens à base de métaux rares chinois, elle reste dépendante d’un écosystème mondialisé. Il est nécessaire de penser une régulation internationale (et pas seulement supranationale), un cadre éthique, pour rendre aux citoyens la valeur des données qu’ils produisent et sécuriser leur usage. Et cela demandera de mieux montrer et raconter ce qu’est cette donnée. Le concept est très abstrait, mais la donnée, ce sont nos visages, nos préférences, notre potentiel d’achat, les intérêts de notre réseau d’amis, nos opinions politiques… 

Je suis toujours étonnée de voir à quelle vitesse a été oubliée l’affaire “Cambridge Analytica”, alors que nous n’en avons toujours pas tiré les conséquences. Les géants de la donnée possèdent un trésor, grâce auquel ils alimentent les IA génératives, sans que cela ne bénéficie ni à tous (à ce jour, 2 milliards de personnes n’ont pas encore un accès stable à l’internet), ni même à ceux qui les produisent. Le chiffre d’affaire de Meta était égal au PIB du Maroc cette année, et le groupe tire 98% de ses revenus de la publicité : c’est un poids géopolitique majeur, sous-estimé, et très mal encadré à ce jour.