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Hélène Michel

Présidente du jury du Brussels World Simulation, Hélène Michel, Professeure de science politique à l’Université de Strasbourg, membre de l’Institut Universitaire de France et directrice de l’UMR SAGE (Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe) apporte un regard éclairé et bienveillant sur les stratégies des étudiants. Avec une carrière dédiée à l’étude des interactions entre acteurs européens et à la transformation des politiques publiques, elle nous livre ses impressions sur l’édition 2024, ses moments marquants, et ses attentes pour les débats à venir.

En tant que présidente du jury des plénières, qu’attendez-vous des joueuses et joueurs du BWS, tout au long du jeu, et pendant les plénières ? Quels sont, selon vous, les critères qui distinguent particulièrement une intervention lors des plénières ?

Les joueuses et joueurs s’investissent tout au long du jeu : ils prennent d’abord en main leur rôle, ce qui les oblige à se renseigner de manière très précise sur les acteurs qu’ils doivent incarner, certains allant même jusqu’à rencontrer les vrais parlementaires ou représentant d’intérêts ; ensuite ils se plongent dans la matière, souvent aride, de la thématique, et ils ne doivent pas tarder à le faire, sans attendre le texte législatif ; enfin, tout en se familiarisant avec les processus décisionnels, ils doivent élaborer leur position et s’efforcer de la défendre. Cela est vrai pour l’ensemble des rôles, même pour les rôles médias qui doivent se conformer à une ligne éditoriale.
Malheureusement, les plénières ne permettent pas de rendre compte de tout ce travail de préparation, de discussion et négociation qui se déploie sur plus de trois mois. Surtout, les plénières ne mettent en évidence que des rôles parlementaires et des rôles de ministres d’États-membres alors qu’il y en a beaucoup d’autres qui ont participé au processus législatif.

Pour le jury, ce n’est pas évident. Mais nous lisons les positions papers publiés avant les plénières, nous suivons attentivement le BWS tweet et lisons les compte-rendu des négociations et tous les documents publiés sur la plateforme. Pour nous, ce qui est important est de voir comment une joueuse ou un joueur arrive à se situer à la fois dans la dynamique du processus et dans l’espace du jeu, en rappelant les issues de négociations passées par exemple et en se positionnant par rapport aux autres joueuses et joueurs.

Vos étudiants de Sciences Po Strasbourg ont plusieurs fois participé au jeu. Quelles compétences ont-ils pu développer grâce à un jeu de simulation comme le BWS ?

Grace au jeu, les étudiants de Sciences Po Strasbourg, comme ceux des autres institutions universitaires, ont appris à mettre en œuvre les enseignements de science politique sur les institutions européennes et les processus décisionnels.
Ils prennent conscience que les joueurs sont toujours positionnés dans un espace peuplé d’autres joueurs eux-mêmes positionnés. Ils réalisent que selon leur position, ils ont plus ou moins de poids et de capacité d’action. Par conséquent, si un acteur veut peser dans cet espace, il doit tenir compte des autres, il doit trouver des appuis et des alliés pour non seulement avancer collectivement, mais aussi limiter ou contraindre à son tour l’action de ses adversaires ou de ses concurrents.
Les étudiants voient de manière très concrète que le jeu est structuré par les autres acteurs qui vont réagir en fonction de ce qu’ils sont et de là où ils se trouvent. Ils ne peuvent donc pas faire abstraction de ces contraintes institutionnelles et politiques. En d’autres termes, tout n’est pas possible. Il ne suffit pas d’avoir de bons arguments ou d’être persuasif pour l’emporter.
Tout cela, la sociologie politique de l’Union européenne l’a bien montré mais, avec le BWS, la démonstration se fait en acte.

Votre parcours de chercheuse vous a conduit à explorer des dynamiques institutionnelles complexes, notamment au niveau européen. Y a-t-il des parallèles intéressants entre ces recherches et ce que vous observez dans le BWS ?

Mes recherches ont porté sur les pratiques des représentants d’intérêt, qu’on appelle tantôt stakeholders tantôt lobbyistes ou encore advocacy officers. Le jeu permet vraiment d’intégrer ces acteurs dans le processus décisionnel et ainsi de bien rendre compte de la réalité européenne des préparations et des discussions des paquets législatifs. Le jeu permet aussi de replacer ces acteurs dans un espace certes contraignant mais proposant quelques opportunités d’action pour ceux qui savent et qui peuvent les saisir. Le jeu rappelle enfin que l’analyse que chaque acteur fait du jeu est largement déterminée, à la fois par sa position, par ses ressources et son expérience. Autant d’éléments à prendre en compte dans l’interprétation de ce qu’il se passe et se joue dans les processus décisionnels.

Vous avez participé à plusieurs éditions du BWS. Souhaitez-vous partager une anecdote, un souvenir marquant ou remarquable lié au BWS?

L’an dernier, les joueurs avaient imaginé le piratage d’un compte tweeter d’une député. Il y avait aussi eu un happening d’ONG devant le bâtiment de l’École. Cette année, certains sont restés enfermés dans l’École en soirée, oubliant l’heure de fermeture, tout accaparés qu’ils étaient par leurs négociations. Le BWS permet aux étudiantes et étudiants de faire preuve de créativité.
Mais pour moi, le souvenir marquant est la venue des joueurs à Strasbourg où le Parlement européen a accueilli les plénières. Ce n’est pas tant le fait que les étudiants ont dû se loger au camping en plein mois de décembre, ou que nous ayons eu l’honneur d’être accueillis dans la salle du PPE par le président Hans-Gert Pöttering qui nous a dédicacé ses mémoires. C’est le fait que certains se sont un peu perdus dans les couloirs et passerelles du bâtiment et qu’ils se sont retrouvés sur le tournage de la saison 3 de la Série Parlement. Il y avait alors les acteurs de la série, les joueurs du BWS ainsi que des employés du Parlement, sans oublier quelques visiteurs venus au Parlementarium. Un beau mélange de fiction, de simulation et de réalité.